Tango céleste (conte érotique)

Publié le par Mako Rigan

[Une histoire que j'ai écrite. J'en livre ici les parties 1 et 2. Il y en a 4 au total.]

 
I
 
       Les vieux racontaient à qui voulait l'entendre que Sandoniel était tombé de la lune. C'était un extravagant qu'on voyait souvent se promener seul. Il disait vouloir sentir les choses à sa manière. De ses balades solitaires il ramenait des découvertes et des histoires étonnantes qui faisaient la joie de ses amis.
Une nuit d'ivresse qu'il était en quête de nouveauté, il aperçut une étoile filante. D'autres auraient jugé que c'était une étoile parmi d'autres. Mais pour lui elle n'était pas ordinaire.
Il lui trouva des yeux noirs rouge vin. Ses longs cheveux traînant derrière elle dessinaient dans le ciel des flammes d'éclats chocolatés.
Il suivit du regard la course astrale pendant quelques minutes. Désireux d'attirer l'attention de la voyageuse, il mit de l'or dans ses cheveux noirs. Les lumières de la nuit s'y reflétèrent.
Il appela l'étoile. Elle jeta un oeil vers le promeneur.
        Alors l'enfant qui dormait en lui ouvrit les yeux. Il tendit sa main ouverte. L'étoile vint s'y poser en hoquetant. Son contact n'était pas aussi brûlant qu'il aurait cru. Elle était humide. Elle mouilla les vieilles tâches d'encre qui avaient séché dans sa main.
L'étoile était humide, claire et parfumée. Elle sentait l'amande grillée. Il aima voir cette lumière saoule danser et tituber dans l'eau colorée de sa paume. Comme elle ne parlait pas et qu'il voulait lui donner un nom, il l'appela Braise. Sandoniel était ému et s'excusa un peu de l'étroitesse de l'endroit. L'étoile répondit par un hoquet et un sourire. 
        Les lèvres alcoolisées de l'étoile sentaient la mer. Elles avaient la texture d'un lychee. Sa langue avait un goût d'écume et de miel. Le promeneur et la visiteuse se rencontrèrent plusieurs nuits consécutives. Leurs baisers de nuit blanche réinventaient l'état de conscience qui fait le lien entre la paix du crépuscule et les picotements de l'aube. Sandoniel nomma  « brasier » ce moment de la nuit pour lequel il ne connaissait pas de nom dans la langue des Hommes. Il demandait à la belle de le rejoindre dans une caverne au milieu des collines de bauxite. Un endroit où la lumière du jour ne l'aveuglerait pas.
        Lorsque les mains de l'étoile se promenaient sur le torse de celui qui était redevenu adolescent, ses doigts laissaient des rails de gouttelettes sur la peau. Derrière chaque caresse   restait aussi une traînée rouge. Des petites brûlures quasi indolores.
Par moments la chevelure de l'étoile crépitait comme des allumettes et lançait des vapeurs de soufre. Quand elle le regardait fixement, Sandoniel croyait marcher au bord du vide, sur un fil. C'était grisant.
Il finissait par s'assoupir dans la chevelure. Se demandant mollement s'il était vivant ou mort. S'endormant avec le souffle de la respiration de l'étoile contre son épaule. murmure de cheminée. Il aimait l'entendre. Et voir les formes du ciel et de la terre sombrer au fond de ces yeux de vin.
 
"Doigts de soleil,
Langue de mer,
Ortie au miel..."


II
 
        Un matin il se réveilla seul. L'étoile n'était plus là. Il se rhabilla et rentra au village.
Quelques temps plus tard il croisa en chemin un oiseau noir d'une espèce qu'il ne connaissait pas. L'oiseau semblait l'épier du haut d'un buisson. Le promeneur reconnût quelque chose de familier dans le regard de l'animal. Les mêmes yeux que l'étoile. L'attention de Sandoniel fut détournée par une sensation de grattement dans sa main. Celle qui avait accueilli l'étoile. Là où elle s'était posée brillait à présent une lumière violette. 
Pour attirer l'oiseau il mit de l'argent dans ses cheveux d'or. L'animal pépia en retour. Sandoniel tenta une approche, mais l'oiseau lança un son strident et fila dans les airs.
Ce cri avait vaguement ressemblé à un mot humain. Il pensait avoir reconnu « Viens ! ».
        Alors l'animal qui dormait en lui ouvrit les yeux. Sandoniel s'élança aussitôt dans le ciel en se changeant en rapace. Il rattrapa l'oiseau sur les hauteurs d'un rocher et retrouva ce souffle et cette odeur d'amande grillée. C'était l'étoile filante. Il lui mordit la joue. Elle gloussa. Lorsqu'elle sentit le contact des pattes de son amant sur son corps, son visage devint celui d'une femme noire entouré de plumes. La morphologie du rapace subit la même transformation. Ils se jetèrent férocement l'un contre l'autre. Puis leurs membres se mélangeant, ils devinrent un amas confus de plumes, de chair et de peau jusqu'à ce que leurs caresses fussent celles de doigts  griffus. Les jambes de la femme-oiseau devinrent si lisses que Sandoniel y colla son visage pour les respirer. Il fit glisser ses lèvres sur la peau d'ébène jusqu'aux chevilles qu'il couvrit de baisers.
        Il savoura à nouveau la piqûre de ces caresses à la frontière de l'eau et du feu. Les griffes femelles tailladant son épiderme changeaient ses peurs d'humain en pâte feuilletée. Il les dévorait en riant. Comme il explorait de sa bouche les courbes de Braise, il y retrouvait les effluves de la crème fraîche et de la coriandre.
Ils s'aimèrent furieusement en se donnant des noms d'oiseaux. Se racontèrent ce qu'ils avaient vu du monde en se mordant la peau. En se pinçant la chair. En parlant avec elle il comprenait mieux les choses. Ils s'abouchèrent de toutes les façons permises par la physionomie des humains et des oiseaux. Leurs plumes et leurs membres humains se mêlèrent. Leurs peaux s'entrechoquèrent jusqu'à ce que la lune ordonnât aux chauves-souris de plier le décor.
Il s'endormit après elle, guettant l'extinction de la lune dans le plumage femelle.
Sur une partie tendre de son corps endormi il remarqua qu'elle avait le dessin d'une étoile. Il attendit que le souffle de son amante bourdonnât dans sa tête pour s'appuyer contre le ventre de la dormeuse et se laisser happer par le sommeil .
        Ils volèrent ensemble sur de grandes distances. Sandoniel se régalait de faire la course avec elle, parfois juste pour le plaisir de la laisser gagner. Chemin faisant, le bonheur le rendait distrait et il ne regardait pas les obstacles. Il filait tout droit, le nez en l'air.
« Regarde où tu vas ! , lui lançait Braise, tantôt amusée tantôt agacée. Tu rêves trop ! Ca va t'attirer des problèmes ! ». Comme s'il suffisait de planer pour savoir voler ! En guise de réponse il lui souriait niaisement. Il se sentait si léger.
Absorbé par ses rêveries, il ne vit pas les remparts d'une forteresse. Il s'écrasa de tout l'élan de son enthousiasme et fit une chute vertigineuse.

"Lune de feu,
Toucher du ciel,
Fleur de sommeil..."

Publié dans Mes contes

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