Confiné dans 9m2 - 3e partie
Le regard que je portais sur les courses au supermarché a évolué en profondeur. Avant la crise sanitaire j’achetais déjà essentiellement de la nourriture et des produits de première nécessité. Quelle gifle ça a été de réaliser que les stocks de papier toilette avaient été vidés d’un claquement de doigts ! Sans avoir la moindre idée de ce qui se passait, j’avais cherché du PQ dans plusieurs magasins, étonné de ne pas en trouver. Quand j’avais fait part de ma surprise, les employés m’avaient regardé comme si je tombais de la lune.
Je trouvais ça tellement absurde. Est-ce que c’était du bon sens ou le fait d’avoir passé une semaine en Afrique du Nord dans ma vie ? Avec de l’eau et du savon on se lavait très bien les fesses !
Pour le mangeur sans gluten que je suis, la pénurie de pâtes avait été elle aussi une sacrée surprise. J’ai également pris conscience d’à quel point mes concitoyens se gavaient de pâtes au détriment des autres céréales.
Et je n’aurais pas cru que quelques foyers ressentiraient le besoin de faire des stocks pour plusieurs années. Par contre, les rayons de galettes de maïs ou de riz (qui ressemblent à du polystyrène) débordaient partout où je passais. Peut-être que je devrais faire un tutoriel pour expliquer comment remplacer le PQ par des galettes de riz…
Je trouvais ça tellement absurde. Est-ce que c’était du bon sens ou le fait d’avoir passé une semaine en Afrique du Nord dans ma vie ? Avec de l’eau et du savon on se lavait très bien les fesses !
Pour le mangeur sans gluten que je suis, la pénurie de pâtes avait été elle aussi une sacrée surprise. J’ai également pris conscience d’à quel point mes concitoyens se gavaient de pâtes au détriment des autres céréales.
Et je n’aurais pas cru que quelques foyers ressentiraient le besoin de faire des stocks pour plusieurs années. Par contre, les rayons de galettes de maïs ou de riz (qui ressemblent à du polystyrène) débordaient partout où je passais. Peut-être que je devrais faire un tutoriel pour expliquer comment remplacer le PQ par des galettes de riz…
A partir du moment où j’ai été installé dans ce qui allait être ma cabane pendant plusieurs semaines, j’ai été traversé d’oscillations émotionnelles me faisant interminablement passer d’un sentiment de sécurité à un sentiment d’inquiétude. Le soulagement venait surtout du fait que je n’allais être un poids ou une menace pour qui que ce soit au quotidien, que j’étais capable de tenir longtemps sans sortir et que même si mon lieu de vie provisoire offrait un confort minimal, je n’étais non plus à la rue. La peur par contre était polymorphe et tentaculaire. C’était à la fois la peur du virus lui-même, inconnu et au sujet duquel les informations et les consignes officielles étaient sans arrêt contradictoires. La peur de souffrir, la peur de mourir. La peur de ne pas revoir des proches qui pourraient mourir eux-mêmes. La peur de ne pas pouvoir faire confiance à un pouvoir garant de la santé publique et du bien commun. Les histoires de stock de masques détruits, déjà commandés, pas nécessaires, de tests indisponibles et de chiffres de morts augmentant tous les jours alors qu’on n’avait pas de tests, de confinement qui avait tardé à être mis en place, la chasse aux contrevenants alors qu’une énorme partie des ouvriers allaient encore au travail tous les jours, invisibles dans les discours officiels qui matraquaient en permanence que toute la France étaient confinée.
La peur liée au fait d’être coupé de sources d’informations faciles, comme la radio pour écouter les flashs d’infos officiels, de louper à un moment des données capitales. La peur de finir par craquer à force de passer une partie colossale de mon temps à vérifier les informations que je recevais. La peur que mon employeur se serve de cette période de trouble pour me jouer un tour de cochon. La peur de cette suite de messages aux apparences délirantes que n’importe qui pouvait m’envoyer sans les avoir préalablement passés au filtre du bon sens, peur que mon entourage soit devenu fou ou de devenir fou moi-même. La peur de m’empoisonner en mangeant quelque chose de contaminé, de ne pas m’être lavé les mains assez longtemps, d’avoir négligé de le faire une fois. La peur du contrôle de police qui tourne mal, vues les infos que j’avais eues et l’image que la police s’était donnée par des mois de répression sauvage des mouvements sociaux. J’ai dû avoir peur en dormant aussi, me réveillant parfois angoissé avant d’avoir fini ma nuit.
Je passais donc une énorme partie de mon temps à ressentir ou métaboliser la peur, à la digérer pour tenter l’apprivoiser.
J’ai tenté de sortir le moins souvent possible. Après mes premières grosses courses, j’ai dû tenir 5 jours. Mais malgré mon côté casanier, cinq jours c’est long. Surtout quand l’étroitesse de l’espace fait qu’ouvrir la porte de la douche renverse mon sac de voyage, qui va pousser un tabouret sur lequel sont posés mes légumes, qui vont dégringoler à leur tour sur mes chaussures, me mettant alors en tête que mes chaussures pourraient être souillées par le virus.
Il faut aussi se contorsionner pour réussir à passer la porte d’entrée. Quand ouvrir la porte du micro-ondes va faire tomber le pot de miel, que je vais devoir ramasser sur le sol avant de me laver les mains pour la vingtième fois depuis que je suis revenu du monde extérieur.
L’avantage ou l’inconvénient de tout ça, c’est aussi que je suis seul à m’imposer ça, qu’en partageant ce quotidien avec d’autres, ça aurait pu être bien pire, qu’ils auraient pu me coller le poids de leurs propres angoisses autant que me faire relativiser les miennes.
C’est une aventure solitaire qui me renvoie à l’état d’esprit dans lequel j’ai été lors de ma retraite méditative de 10 jours. Sauf que là je peux parler, appeler des gens, écrire, utiliser internet, manger et dormir quand je veux, prendre du plaisir comme un adulte peut le faire : en mangeant du chocolat, buvant de l’alcool ou autrement.
Une des plus grosses difficultés : vivre sans cadre. La liberté, faite de responsabilité, n’est plus là. Le seul endroit où je la sens, c’est dans le fait de m’être isolé des autres pour ne pas nous mettre mutuellement en danger. Néanmoins ne plus avoir d’horaires pour rien, ni rendez-vous, ni obligations, ni loisirs, pouvoir me lever ou me coucher n’importe quand, ça a été grisant jusqu’à ce que je ressente dans ma chair à quel point cette aliénation était asphyxiante.
Est-ce que c’était aujourd’hui ou hier que telle chose s’est passée ?
Est-ce qu’on était le soir ou le matin ?
Et de quel jour de la semaine ?