Confiné dans 9m2 - 4e partie

Publié le par Le Rétif

Lors de ma 1ere sortie après 5 jours d’isolement volontaire, l’attitude habituelle des Parisiens dans la rue parait devenue plus caricaturale. Avant la crise, je voyais souvent les passants distants et fuyants. Ils évitaient le contact visuel et accéléraient le pas quand je voulais les aborder. A présent certains font carrément des écarts de 2m en me voyant approcher.
Je rencontre un type qui cherche comme moi le Carrefour du quartier. On fait un bout de chemin ensemble. On est tous les deux frappés par l’obscurantisme qui règne dans la période actuelle. Le plaisir mutuel pris à cette discussion est palpable. Je mesure toutefois le gouffre qui nous sépare.
Il trouve superflue la distance sanitaire d’1 mètre à respecter et tient un discours cumulant à la fois le ton complotiste et la répétition bébête de ce que disait le gouvernement une semaine plus tôt : le covid serait l’équivalent d’une simple grippe.
 

Alors que j’arrive dans ma rue, j’entends un tonnerre d’applaudissements. Un coup d’œil autour de moi me confirme que je suis seul dehors. J’ai beau savoir que la nouvelle mode est à applaudir symboliquement les personnels soignants à 20h pétantes, je ne peux pas m’empêcher de penser un instant que c’est moi qu’on applaudit. Je revois le 1er Mai dernier, les rangées de CRS attaquant une foule joviale et pacifique des deux côtés. Je me souviens du mouvement de panique, de l’odeur étouffante des lacrymogènes et cette angoisse interminable pendant que j’étais réfugié avec d’autres dans une cour d’immeuble. Le soir j’ai entendu le Ministre de l’Intérieur accuser les manifestants de la rue derrière la nôtre d’avoir attaqué l’Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, eux qui avaient cherché comme nous à fuir la violence policière.
J’ai crié des « Merci ! » aux applaudisseurs, puis plusieurs « Du fric pour l’hôpital public ! », m’inspirant du message qu’une auditrice de « Là-bas si j’y suis » avait laissé quelques jours plus tôt sur le répondeur de l’émission.
Où étaient-ils tous ces applaudisseurs d’hôpital sinistré pendant les 11 mois de grève des urgentistes criant à l’incendie ? Vers où regardaient-ils quand un neurologue de la même Pitié-Salpêtrière glissait à notre Président-DRH que sans un investissement massif de l’État tout allait s’effondrer ? Où seront-ils quand le système de santé sera bradé morceau par morceau à des intérêts privés à la fin de cette crise ?
 

5 jours plus tard je fais une balade avant d’aller au supermarché. L’avenue Zola, l’artère principale, est quasiment déserte. Un symbole savoureux : il n’y a pas âme qui vive dans la rue des entrepreneurs ! En une heure, je croise à peine 2 voitures, 2 mobylettes et j’aperçois une vingtaine de passants. Au retour l’avenue est secouée par les vibrations d’une sono. Ambiance de discothèque venant d’un étage. J’en cherche l’origine, curieux de savoir si des réfractaires à l’état d’urgence font la bamboula en plein jour. Je vois une petite nana se trémoussant sur son balcon. C’est elle qui cause tout ce raffut. Elle m’aperçoit et pousse un cri de joie. Je lui lance un salut amusé.
 

Au supermarché je scrute les produits alimentaires posés sur les rayonnages. Comme je me nourris très simplement, je me sens oppressé de reconnaître des marchandises que j’avais oubliées. Des marques qui ont fait de la publicité mensongère pour vendre de la fausse viande, celles qui se disent éthiques à tort, celles qui ont des emballages polluants et bourrent de saletés leurs recettes. Au rayon des conserves, j’ai les larmes aux yeux devant les boîtes de saucisses aux lentilles Raynal et Roquelaure. La dernière fois j’en ai acheté deux boîtes que j’ai mangées froides. Je ne voulais pas utiliser le micro-ondes. Chaud j’aime ce plat cuisiné, mais froid c’est plutôt fade.
Le hic, c’est qu’entre-temps j’ai regardé une interview de Gaël Giraud, économiste philanthrope informant sur l’effondrement écologique en cours. Il disait qu’arrêter de consommer de la viande rouge faisait partie des moyens efficaces pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.
Comme je sais que beaucoup s’entêteront à se gaver de viande pour coller à une conception désormais mortifère de la liberté, d’autres devraient avoir la responsabilité de compenser en étant plus carrés. Devant les boîtes je pense au goût de ce plat, à l’idée de ne plus jamais en manger…
Je pense à la planète, à la vie… Mon choix est fait.
 

Pour ne pas devenir fou, j’ai besoin d’exercice et de faire des étirements. Je me réconcilie avec les 5 Tibétains et me retrouve dans la cour intérieure de l’immeuble à tourner comme un derviche sous les applaudissements des applaudisseurs de 20h.
Ce qu’il y a d’amusant à être confiné, c’est que lorsque je sors, le regard que je pose sur les choses aurait gagné en acuité ou en poésie. Dans la cage d’escalier je vois un « mort aux vaches » constitué de 3 trous dans le mur près de l’ascenseur que je n’avais pas vus précédemment. Sur un vitrail décoratif, voilà que des formes phalliques se mettent à apparaître !
Quand je reviens du supermarché pour la troisième fois, je réalise qu’à chaque fois je me sens malade. Forcément : ces magasins ressemblent à des frigos géants. Après avoir passé 30 mn dans un rayon congélation comment ne pas avoir le nez qui coule ?
Choisir des tablettes de chocolat devient une mission extrêmement ardue quand le rayon se trouve dans la queue menant à la caisse. Avec la distance d’un mètre à respecter après chaque client, soit on rechigne à me laisser approcher pour regarder les tablettes soit on attend 2 mètres derrière moi comme si je faisais la queue. Je dois expliquer encore et encore que non, je ne fais pas la queue, que je souhaite juste choisir du chocolat. Tout ça à des gens qui soit ne m’écoutent pas soit n’osent pas me parler. Aucun trait sur leurs visages quand ils sont masqués : yeux vides et bouches silencieuses. C’est entre le film d’épouvante et la farce, kafkaïen ou ubuesque. Dans la rue les panneaux d'affichage électoral annoncent toujours un second tour qui n'a jamais eu lieu, suggérant que le temps s'est arrêté.
Confiné dans 9m2 - 4e partie
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Confiné dans 9m2 - 4e partie
Pour donner un peu raison au Président des pollueurs j’avais déjà vu de la guerre dans tout ça.
Il y a aussi de la prison. Ce n’est pas pour rien si j’ai tiré de mon chapeau une référence monacale tibétaine. Les moines vivent dans des cellules et n’ont pas la possibilité de faire du sport.
J’économise aussi de prendre des douches et de changer de vêtements. Je ne suis pas chez moi, je ne vois personne, je n’ai pas de machine à laver, la place est super réduite et il m’est techniquement impossible de laver pulls et jeans. De temps en temps je décide cependant de me faire beau, juste pour moi. L’humanité pourrait bien ne plus exister. Ca ne doit pas m’empêcher de vouloir ressentir du bien-être. Un rasage, un coup de déo, parce que même un Néandertal a le droit d’être coquet de temps en temps.
Le 1er avril j’ai une triple surprise :
- En cuisinant des pommes de terre que j’ai achetées dans un magasin bio je trouve un caillou de la taille d’une patate entre deux vrais légumes !
(PHOTO)
- Je lis un article pesant de Marianne qui dénonce la grande fréquence des amendes mises arbitrairement par les policiers qui contrôlent les sorties.
- Dans le même Marianne un article annonce une offre du Premier Ministre de donner un sac d’engrais à tous les Français pour pouvoir faire leur potager. Il est même question de faire cadeau d’un seau et d’une pelle à ceux qui en auraient besoin.
Ma sidération face à la dernière surprise se change en éclat de rire : le canular est à mon goût. J’ai mordu car je le trouvais à la mesure du cynisme et du mépris du gouvernement pour la majorité.
 

J’apprends de plusieurs sources qui concordent (le compte Twitter d’Olivier Besancenot, Franck Lepage, la CGT, Là-bas si j’y suis et Le Média) qu’alors que les médias dominants donnent l’image d’une France entièrement confinée, l’activité économique ne seraient pas vraiment à l’arrêt ou réduite au télétravail. Le gouvernement met à l’index les « irresponsables » ne respectant pas les consignes de confinement. Les contrevenants sont évoqués avec indulgence quand il s’agit de Parisiens : ils avaient besoin de soleil. Par contre, ils sont décrits avec plus de mépris quand ce sont des banlieusards du 93 : eux seraient à mater, car incapables d’obéir à des règles et s’en remettant uniquement à Allah pour les protéger. J’apprends aussi qu’à 6h du matin le métro parisien serait bondé, le gouvernement ayant laissé les patrons décider eux-mêmes si leur activité fait ou non partie des activités absolument indispensables à l’économie, que la vie d’un grand nombre de salariés serait donc mise en danger quotidiennement et que leur droit de retrait, pourtant parfaitement légal en cas de danger pour leur santé, ferait l’objet d’odieuses menaces de managers et de cadres dans les entreprises. Résultat des courses : les menaces de grève de la CGT pour faire respecter les humains sont vues comme inadmissibles par la ministre du Travail et par Le Figaro. C’est saper l’effort national dont sont dispensés les plus riches. D’ici que soit réclamé qu’on fusille les « traîtres » il n’y a qu’un pas.
 

Détail annexe : en presque 3 semaines j’arrive à peine à mon 3e rouleau de papier toilette.
Peut-être que je devrais postuler au Ministère de l’Économie ?
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