Bilan de compétences Vs bilan d'incompétence

Publié le par Mako Rigan

J'avais terminé l'hiver sur les dents. Comme si j'avais fait un match de boxe contre un professionnel sans jamais avoir fait de boxe avant. J'avais le corps et le moral en miettes. Mais je savais que dans ce genre de situation, il y a moyen de repartir d'un coup. L'expérience ? Cette pensée me fait rire. Le moyen, je savais qu'il existait sans jamais avoir réussi à le mettre en pratique.

 

Je me suis donné quelques semaines pour m'autoriser à être dans les émotions négatives : les siamoises tristesse et colère et leur cousine bâtarde la peur... J'avais décidé de redécoller pour le 1er avril. Et ça serait pas une blague.

 
Alors je l'ai fait. Après un listing des choses importantes que je voulais accomplir dans ma vie, des objets que je voulais acquérir et des rôles que j'aimerais jouer, j'ai décidé de faire un « bilan de compétences ». Pour ça, il faut appeler Pôle emploi. Un bilan de compétences, je voyais ça comme le vague contraire d'un lavage de cerveau. Dans le lavage de cerveau, on vous efface tout. Dans le bilan de compétences, on vous fait mobiliser tout ce que vous avez vécu avant.
Je suis donc allé à Pôle emploi pour annoncer ma décision à un conseiller. On a semblé surpris et on m'a dit de rentrer chez moi et d'appeler. Une logique que je continuerai à trouver stupide.
Quelques jours plus tard un conseiller m'a appelé et m'a parlé avec le respect dû à un ministre. Ça me changeait vraiment des relations bourreau/victime habituelles avec Pôle emploi ! Parmi les choses que j'avais décidé de changer dans ma relation au monde : le fait de voir les situations de conflit comme mettant en scène un bourreau et une victime. J'étais résolu à me voir d'abord en acteur de ma vie. En cas de conflit, faire de mon mieux, dire à l'autre ce que je pense avec diplomatie, ne pas prendre les choses personnellement et ne pas trop faire de suppositions. A quelques mots près, je suivais les enseignements des Quatre accords toltèques.
Le conseiller à la bouche fleurie m'a annoncé que Pôle emploi ne faisait plus de bilans de compétences, mais sous-traitait à des boîtes de ressources humaines. Il m'a donné pour tâche de choisir moi-même un organisme entrant dans les tarifs de Pôle emploi, prêt à payer 800 euros pour mes beaux yeux. J'ai fini par trouver une structure acceptant de baisser ses prix et je me suis lancé dans une sorte de voyage de 2 mois de reconstruction intérieure…
Un peu comme si à l'intérieur de moi j'avais eu un puzzle dont toutes les pièces auraient été dans le désordre et que le but de la manœuvre avait été de donner à l'ensemble une gueule non seulement plus présentable, mais plus agréable à vivre. Un peu comme un grand ménage de printemps. Je l'ai pris comme une expérience spirituelle. Ma définition de la spiritualité : aller vers un mieux-être avec soi-même, les autres, le monde autour. Malgré une société malade.
 
Pendant 2 mois j'ai retrouvé Mme T. environ une fois par semaine à coups de 3h d'entretiens qui m'ont retourné le cerveau dans tous les sens. Un mélange de formation accélérée au maniement d'une langue spéciale (elle ressemble à ma langue maternelle tout en étant complètement différente)… et de réflexion relevant presque de la psychanalyse. Le but du jeu étant de mettre en avant un projet professionnel. Pas mal de gens dans mon cas n'en ayant aucun, je me suis retrouvé avec 4 projets… 4 cartes à jouer. Ce que je visais : faire une formation en photographie, de quoi lier l'utile à l'agréable. Le hobby qui me prenait au ventre depuis presque 2 ans. Plus la traduction, une activité d'écrivain public et l'enseignement du français. Rien que ça.
J'ai dû rencontrer des photographes professionnels pour les interroger sur leur formation, conditions de travail, spécialités, statut fiscal… puis faire un stage. Une « MSMP » (mise en situation en milieu professionnel), comme ils appellent ça dans la langue froide de Pôle emploi. J'ai choisi une structure axée sur l'audiovisuel dans laquelle j'ai coordonné l'organisation d'un concours de photo. Pour ça j'ai arpenté presque toutes les rues de Marseille, démarchant les lieux culturels et les centres sociaux pour faire de la pub pour le concours. Je savais que Marseille est immense… Mais même en un mois j'aurais pas pu aller partout. Putain, ce que j'en ai vu des coins que j'imaginais même pas !
On m'a demandé de faire des photos pour couvrir un événement. Des conférences et chaque moment de la journée. Je sais pas si vous imaginez prendre en photo plus de 4h de conférences. Au bout d'un moment, quand on a fait des portraits des intervenants, des photos de groupe, encore des portraits et encore des photos de groupe, on s'emmerde fermement. Alors j'ai laissé libre cours à ma fantaisie. Gros plans sur les mains, quand toutes les jambes se croisaient dans la même direction, je les shootais. Et les petits soldats de l'audiovisuel postés devant leurs Mac pour mettre en ligne toutes les 30 mn les photos qu'on leur amenait avaient le sourire jusqu'aux oreilles quand ils voyaient certaines de mes photos.
 
Mme T. m'a demandé de remplir une fiche de 4 pages par activité que j'ai eu dans ma vie. Par « activité » elle entendait « travail salarié » ou « travail non salarié » (bénévolat, activités faites par plaisir, passions, etc.). Je lui ai demandé si elle savait à qui elle avait affaire. Mon parcours étant très éclaté et apparemment très riche, je lui ai renvoyé 15 fiches de 4 pages qu'elle a mis des semaines à éplucher et synthétiser. J'ai passé des nuits à m'arracher les cheveux pour reformuler dans une langue qui m'était inconnue. Dans les moments de doute profond je me rappelais de ce qu'elle m'avait dit lors de notre première rencontre : le but de la manœuvre allait être de mettre en adéquation mes compétences professionnelles, personnelles, mes motivations et mes valeurs. Elle avait dit un mot magique : mes VALEURS. J'ai dû revenir sur toutes mes expériences de travail qui avaient mal tourné. D'après Mme T. j'avais une vision politique et éthique du travail, ce qui était tout à mon honneur. C'était bien la première fois que quelqu'un d'aussi intégré dans le monde des gens respectables me faisait un retour positif sur mon parcours. J'ai pris le compliment comme une flèche de Cupidon en plein cœur.
Dans les mois qui précédaient j'avais découvert le yoga. C'est comme prendre des drogues en ressentant seulement les bons effets et sans faire de mal à son corps. La première prof de yoga à qui j'en ai parlé n'a pas apprécié ma comparaison. Après ça j'avais décidé de faire la paix avec tous les conflits anciens que j'ai connus. Une longue série de lettres a suivi. Une par semaine, en moyenne 7 pages de long. Une manière de faire table rase de la négativité passée et toujours présente en moi. Comme une vidange émotionnelle. Se débarrasser des vieilles casseroles. J'ai écrit aux vivants et aux morts. Pour les morts, j'ai choisi à chaque fois un lieu magnifique dans la nature. J'ai lu ma lettre, je l'ai brûlée et j'ai jeté les cendres dans la mer. A chaque fois j'ai écrit avec bienveillance, en évitant les jugements de valeurs, pour soigner le lien. Le lendemain et les jours qui suivaient je me sentais bizarre à l'intérieur. Un vide. Comme si une tension qui avait toujours été en moi avait subitement disparue. J'ai ressenti de la reconnaissance aussi. Pour les gens à qui j'ai écrit, car je sentais qu'ils faisaient partie de moi, et pour moi. Je venais de faire des pas de géant.
 
Pendant plusieurs semaines j'ai travaillé comme un fou à lire des livres techniques sur la photo : les notions de base, la composition, les photos de voyage, le noir et blanc… J'ai demandé des conseils à certains des photographes que j'avais interrogés. Certains sont devenus des amis. J'ai commencé à apprendre les bases de ce monstre qu'est Photoshop, je me suis battu contre des Mac avec des claviers réglés dans des langues étrangères, j'ai appris à faire une signature sur les photos et passé des nuits à faire des essais. Puis j'ai décidé de tirer mes premières photos. Celles qui étaient à mes yeux les meilleures parmi celles que j'avais faites. Et je me suis mis en tête d'en vendre. D'abord ça a été mes voisins, puis au festival de théâtre d'Avignon (il faudrait un article à part pour raconter comme cette aventure a été chouette et surprenante !) et enfin à Mme T. !
Je suis venu à mon dernier rendez-vous avec une valise pleine de photos. J'avais l'impression de livrer plusieurs kilos de drogue. J'ai lancé avec un sourire en coin : « Voilà le résultat de mon travail. » Elle a voulu regarder, a été emballée et m'en a acheté plusieurs. Elle parlait de faire la « synthèse du bilan ». J'ai rigolé en lui disant que c'était génial de penser à faire le bilan d'un bilan. Mais elle a fait mine de ne pas comprendre la blague, car je devais parler dans ma langue à moi. Celle des jeux de mots « laids ».
Et je suis reparti dans la nature, où je shoote encore et encore. Je me suis créé un 2e compte Facebook rien que pour la photo et plusieurs pages « pro ». Je cherche tous les concours de photos gratuits sur internet pour participer à tous ceux qui m'intéressent.
Je pense en souriant à certains de mes potes qui m'appellent « le Japonais ». Parmi les prochaines étapes : m'inscrire dans une école de photo.
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